L'histoire du Canal de Gap
Les transferts d’eau du basin du Drac vers le bassin de la Durance sont très anciens.
Ils répondent au déficit de la ressource du bassin Gapençais
Histoire des canaux... souvent une histoire d’hommes.
Introduction
Des coûts de construction croissants :
En 1805, le premier devis estimatif des travaux s’élevait à 405 000 francs.
En 1847, une nouvelle étude l’amène à 2 190 000 francs, mais ce projet qui comportait un tunnel emprunté par le canal et par la route nationale, ne fut pas accepté par l’Administration.
En 1858, un projet simplifié ramène les dépenses à 1 500 000 francs, et c’est un chiffre que M. GARNIER accepte comme base de sa concession.
Les travaux recommencent en 1864 et déjà, en 1869, le Conseil Général des Ponts-et- Chaussées, répondant à une question du Préfet, écrit :
« Ce qui étonne dans cette affaire du Canal de GAP est la masse énorme des faux frais qu’exige l’exécution des travaux. Le Canal exécuté par l’Etat seul comme les autres travaux des Ponts-et-Chaussées, aurait coûté environ 2 500 000 francs, par l’exécution au moyen d’un concessionnaire, la dépense s’élèvera à plus de 3 000 000 francs et l’Etat y contribuera en définitive pour une somme supérieure à celle qu’il eût dépensée en agissant seul ; les arrosant sont grevés d’une redevance de 23 francs par hectare pendant 50 ans et le concessionnaire y aura certainement perdu ».
D’après les chiffres donnés par l’administration lorsque le canal fût terminé, les dépenses se seraient élevées à 10 000 000 francs, soit près de 2 milliards de notre monnaie actuelle.
GARNIER avait englouti, dans cette affaire la fortune de sa femme, de la veuve et des enfants de son frère. D’autres membres de la famille étaient aussi au nombre de ses créanciers. Sur requête des bailleurs de fonds du canal, son hôtel de Paris, les biens de sa femme ont été vendus à l’encan, ses appointements ont été frappés de saisie. Il est mort dans la misère sans que s’en inquiètent un seul instant, ni l’administration, ni les arrosant dont il avait assuré la richesse.
L’ouvrage principal suit entièrement les flancs de collines escarpées ; il est creusé dans le rocher fissuré, dans le schiste noir très friable et dans les éboulis perméables autant qu’inconsistants. En maints endroits, il est en encorbellement partiel.
Quand on pense à l’indécision qui a présidé à l’exécution de cet ouvrage, au temps considérable qu’ont duré les travaux interrompus à plusieurs reprises, à la constante sous- estimation des dépenses à engager, aux faillites successives des entrepreneurs et des concessionnaires, aux changements fréquents dans la direction des travaux et aussi peut-être, à l’inexpérience dans laquelle on était, de l’exécution des travaux en haute montagne, personne ne peut s’étonner que les malfaçons aient été nombreuses.
Mis à part le tunnel de Manse, protégé peut être parce qu’il est à l’abri des intempéries, tout est à reprendre. Il est d’ailleurs à remarquer que les travaux exécutés par les Ponts-et- Chaussées n’ont pas mieux tenu que ceux qui avaient été exécutés par le concessionnaire.
Dates clés
En 1448
L’autorisation est donnée par le Dauphin d’exploiter 300 litres seconde dans le torrent d’Ancelle.
En 1492
En 1492, se termine un canal qui prenait son origine au Torrent d’Ancelle.
En 1773
Début d’une étude en vue de réaliser un nouveau canal à partir du Drac. Les études furent pénibles et coûteuses et ont été ajournées en 1806. Un premier concessionnaire fut accepté, mais la société qu’il avait fondée fit une faillite de 450 000 F avant que le premier coup de pioche fût donné.
En 1804 :
Loi du 23 pluviôse an XII (1804), loi décidant de la mise en œuvre des études et de la création du Canal de Gap.
En 1863
Le 11 avril 1863, le décret de concession est donné par Napoléon à Maurice GARNIER, député des Hautes-Alpes. Alors, le 11 août 1863, M. GARNIER, député du département, se dévoue et se fait accepter comme concessionnaire. Les travaux commencent le 21 août 1864, mais les entrepreneurs font successivement faillite.
En 1873
Le 18 juillet 1873, le Canal est placé sous séquestre qui prescrit la continuation des travaux par le soin du ministère des Ponts et Chaussées.
En 1874
Le 17 décembre 1874, M. le préfet des Hautes-Alpes constitue l’Association Syndicale Autorisée.
En 1950
En 1950, le Canal transforme son mode de distribution en développant les réseaux sous pression.
En 1963
1963, première digue en terre compactée aux Jaussauds pour la création d’un réservoir de 700 000 m3.
Aujourd’hui, le Canal de Gap permet :
- L’approvisionnement en eau de 5 000 adhérents, 8 établissements publics ou collectivités,
- la livraison d’eau brute à finalité de consommation humaine pour 40.000 habitants,
- près de 8.000.000 Kw d’électricité par an,
- la gestion d’un important dispositif hydraulique composé de lacs, de réserves, de conduites forcées qui irriguent près de 10 000 parcelles.
Le canal de 1920 à 1934
Le 14 juin 1920, dans son rapport relatif au Canal de GAP, Monsieur l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées SIMON, actuellement grand maître de l’électrification en France, écrivait :
« Nous rappelons que le Canal de GAP avait fait l’objet, dès avant la guerre (1914-1918), d’un programme de travaux de grosses réparations dont les dépenses devaient s’élever à 400 000 francs, environ… que, pendant la guerre, la situation n’a fait que s’aggraver par suite des difficultés que l’on a rencontrées dans l’entretien du canal… La difficulté était de choisir parmi la foule des réparations importantes à effectuer, celles qui paraissaient les plus urgentes… Ce n’est pas chose commode car, sur les branches principales, en particulier sur la branche-mère et sur la branche de Charance, il y a de nombreux points qui nous inspirent la plus vive inquiétude et dont la stabilité ne peut être garantie… Lorsqu’on parcourt la branche-mère, il semble que l’on rencontre à chaque pas des réparations telles que nulle autre ne serait plus urgente… ».
La branche-mère
La branche-mère a une longueur de 16 km au sortir du tunnel de Manse, elle lance une branche sur Charance et une branche sur la Rochette. Jusque vers 1950, chacune de ces branches avait 27 km de longueur. Aujourd’hui seuls 15 km de canal sont à ciel ouvert sur la branche de Charance.
Les rigoles secondaires
Construction de la branche mère
Les rigoles secondaires ont totalisé un développement de 395 km avec 6 100 ouvrages d’art en pierre maçonnée.
Aujourd’hui seuls subsistent les secteurs de La Flodanche et de la Plaine de Lachaup. En effet, les 395 km de canaux ont laissé place à près de 500 km de canalisations particulièrement denses en zone urbanisée.
Le nombre des usagers
1606 adhérents ont souscrit 1764 hectares avec 1 hectare engagé au ruissellement ouvrant un droit d’arrosage de 2,5 hectare en rotation.
Le territoire bénéficiaire de l’irrigation
Il a une superficie de 7 000 hectares ; chaque arrosant a la charge de la distribution de l’eau sur son domaine.
De 1920 à 1934
Depuis le rapport de 1920
Depuis le rapport de Monsieur l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées SIMON, Le 14 juin 1920,(voir ci-contre), la situation s’est un peu améliorée : la prise du canal avait été endommagée en 1914, 15 mètres de la digue avaient été emportés : la trombe d’eau de 1928, passant par la brèche a tout démoli.
Pourquoi n’a-t-on pas fait la réparation en temps voulu ?
Entre 1914 et 1920
Entre les années 1914 et 1920, malgré la guerre, des réparations jugées urgentes ont été faites par les Ponts-et-Chaussées : réparations de la galerie qui passe sous le Torrent des Pélissiers, sous le torrent de la Boyère, sous le ravin des Places ; établissement d’une conduite en buses de 2 200 mm au-dessus de Pont-du-Fossé, sur une longueur de 132 mètres, revêtement du canal par une chape en ciment armé, sur une longueur de 1 kilomètre ; réparations des ponts-aqueducs du Torrent du Gallival et du Torrent d’Ancelle.
Actuellement, le revêtement du canal est complètement dégradé et les réparations des deux ponts ont été inopérantes.
Entre 1921 et 1934
Entre les années 1921 et 1934, il n’a été fait aucune réparation. Ce n’est d’abord pas étonnant puisque la gérance du canal avait été donnée par force à la succession GARNIER, mais cette gérance, en 1927, avait été repassée à l’Association Syndicale. Pas une réparation alors que l’argent du pari-mutuel pleuvait sur le département, c’est un peu fort…
Travaux de renforcement de 1934 à 1950
Depuis 1934, sous l’impulsion du nouveau directeur, il a été fait un excellent travail, entre autres : le pont-aqueduc du torrent d’Ancelle a été injecté de ciment ; à sa suite une solide maçonnerie a rendu le canal étanche, évitant ainsi une très prochaine catastrophe.
Citons aussi : la canalisation du Moulinet, la reconstruction des culées et l’exhaussement de la bâche métallique de Saint-Léger, le pont du Gallivel, la cuvette des Ricous, le mur de Pierre- Beaume, le mur du Moulinet, la cuvette des Gorges, la cuvette de la Boyère, celle des Durgons, les ponts-aqueducs de la Rochette, la galerie des Nivouls.
1934 - 1946 : Pendant ce laps de temps
Il a été fait, comme entretien normal :
- 240 767 francs de dépenses sur la branche-mère,
- 227 803 francs sur la branche de Charance,
- 200 000 francs sur la branche de la Rochette.
Les grands travaux
Les grands travaux ont absorbé 2 016 239 francs sur la branche-mère, 1 966 903 francs sur la branche de Charance, 125 154 francs, sur la branche de la Rochette. Les arrosant devraient avoir la curiosité d’aller sur place, se rendre compte de ce qui a été fait et de quelle façon les travaux ont été exécutés.
Malheureusement, tout n’a pas été fait. Les travaux urgents ne manquent pas ; la prise doit être rétablie ; chaque année, le barrage provisoire coûte de 45 à 50 000 francs, il est démoli 2 à 3 fois pendant la saison des arrosages.
Il faudra attendre les années 1950 pour que l’Etat prenne en charge la construction d’une nouvelle prise telle qu’elle existe actuellement.
Sur la branche-mère, 6 km de canal doivent être rendus étanches, tous les passages supérieurs doivent être reconstruits d’un bout à l’autre ; un mur de soutènement est indispensable entre le canal et le Torrent d’Ancelle.
Sur la branche de Charance, le pont de l’Oursatas n’est plus qu’une passoire disloquée ; l’étanchéité du canal est à rétablir sur 1 km de longueur, la rigole de Tallard rongée par le ravinement du Torrent de Malcombe est à déplacer sur 250 mètres ; la chute de Fontbonne a besoin d’une réfection complète, ainsi que les ponts-aqueducs de Combevinouse et de la Drogue. En plus de cela, il faut revoir toutes les rigoles de distribution qui sont en très mauvais état et assurer l’entretien normal. Les travaux ont été obligatoirement interrompus pendant la guerre et ce n’est pas ce qui arrange le canal.
Dés qu’il a été possible d’avoir les matériaux nécessaires, une bâche en ciment armé a été établie au-dessous de la ferme des Fauries, sur la branche de la Rochette, dont le propriétaire élevait de vives réclamations.
On sait que devant l’impossibilité de réunir une majorité des arrosants, les syndics ont donné leur démission, sauf un, et que Monsieur le Préfet s’est vu dans l’obligation de nommer un Comité Syndical qui a accepté la lourde charge. Par ce Comité, la situation a été examinée et des conclusions ont été tirées. Il a été décidé d’abord d’entreprendre immédiatement la réfection complète du canal dans le passage du Buzon ; cette réfection s’impose car une catastrophe était imminente ; le canal à ciel ouvert sera remplacé par une canalisation enterrée ce qui la mettra à l’abri des intempéries. Il a fallu contracter un emprunt de 6 000 000 francs, la participation de l’Etat, soit 4 000 000 francs s’ajoutant à cette somme.
Les travaux ont commencé depuis octobre ce qui permettra de ne pas retarder le chargement du canal.
De gauche à droite : 1/Le canal à Pont du Fossé en 1940 - 2/Charance 1951 - 3/Torrent d’Ancelle 1934 - 4/Branche Mère
Difficultés financières de 1934 à 1950
En 1934, les prix des matériaux étaient les suivants : ciment, 260 francs la tonne prise à GAP, le sable 60 francs le mètre cube. le maçon était payé 38 francs la journée et le manœuvre 27 francs.
En 1946, le ciment vaut 3 000 francs la tonne, le sable 675 francs le mètre cube , Les transports sont passés, pour 5 tonnes de 250 francs à 1 500 francs. Il faut donc compter que les travaux coûtent au moins 10 fois plus cher qu’en 1934.
D’un autre côté, les charges du canal se sont terriblement accrues ; dans l’établissement du budget de 1947, nous avons été obligés de prévoir 100 000 francs pour l’assurance contre les accidents, 160 000 francs pour les allocations familiales, 1 350 000 francs pour le salaire du personnel fixe et auxiliaire...
Que faire face aux annuités d'emprunts
- travaux des Nivouls, emprunt de 500 000 francs à 3 %, amortissement à 30 ans, annuité 28713.15 francs ;
- grosses réparations, projet 1941, emprunt de 1 226 000 francs à 1 %, amortissement à 30 ans, annuité 55 557 francs ;
- emprunt pour les travaux du Buzon, 6 000 000 de francs à 3%, amortissement à 25 ans, annuité 344 520 francs.
C’est donc une charge de 2423 francs par hectare et par an pendant environ 25 années.
Le budget de 1947
Si de nouvelles augmentations ne se produisent pas, il sera équilibré grâce à une taxe de 2 000 francs par hectare. Faisons remarquer que cette taxe était en 1939, de 250 francs ;
même en se basant sur le coefficient 10, on devrait payer en 1947 l'équivalent de 2 500 francs. Espérons qu’il n’y aura pas lieu de faire appel à un rôle supplémentaire ; il faut savoir faire les sacrifices nécessaires.
Le maçon gagnait 5 francs de l’heure, le manœuvre 3 francs en 1946.
Nous pensons que, à tout prix, les arrosants doivent assurer l’entretien de l’ouvrage mais il paraît difficile de contracter de nouveaux emprunts. Si nos agriculteurs ne sont pas exempts de reproches, il faut bien constater que la responsabilité de l’Etat est engagée. Pourquoi cette méconnaissance des difficultés à vaincre, ces crédits donnés au compte goutte, ces changements dans la direction du Canal dans les moments critiques.
« L’application de la loi du 21 juin 1863, sur les associations syndicales, ne peut assurer la bonne marche d’une organisation aussi étendue que celle du canal de GAP ; ses participants sont dispersés sur un trop vaste territoire pour qu’ils puissent se rendre compte de ce qui se passe ; très peu d’entre eux connaissent le canal. » écrivait le Syndic-Directeur.
Il faut trouver une aide pécuniaire
Raisonnablement, on ne peut pas s’adresser au Conseil Général, le budget étant écrasé par l’entretien d’un département qui pour une superficie de 558 960 hectares n’a que 125 000 hectares cultivables. La ville de GAP nous aidera, nous le savons, mais cela n’ira pas loin. La Chambre de Commerce devrait faire un effort annuel car elle a un intérêt majeur à la prospérité agricole. Mais c’est surtout à l’Etat que nous pensons nous adresser.
De gauche à droite : 1 et 2/Canalisations 1951 - 3/Busage du Buzon
Les désidérata du conseil syndical exprimés aux hautes autorités de l'état
« Les eaux de la Durance et du Drac prennent naissance dans notre département. La Durance comme le Drac fournissent chacun la force motrice à cinq usines importantes, puis leurs eaux vont fertiliser une partie de la Provence et une partie du bassin inférieur de l’Isère.
La Durance fournit à Marseille l’eau d’alimentation et d’usage domestique.
La taxe d’arrosage est dans la Crau de 600 francs l’hectare, alors qu’elle est de 2 000 francs dans les Hautes-Alpes.
Notre département se voit, à tous instants, raviné par les eaux sauvages qu’il produit ; est-il juste qu’il voit ses eaux captées pour fournir l’énergie à la France entière sans compensation pour lui ; est-il juste qu’il voit ses eaux assagies alimenter avec largeur les habitants de la deuxième ville de France et porter leur puissance fécondante sur les fonds inférieurs de ceux qui resteraient indifférents à nos misères.
Si les départements de montagne sont utiles à la communauté française, il ne faut pas les traiter en parents pauvres mais les aider avec méthode et d’une façon efficace. Si le Canal de GAP qui arrose le territoire le plus agricole du département et qui alimente de nombreuses sources est utile, il faut l’aider à vivre ; il est sur le point de disparaître, comme ses deux devanciers.
Nous devons aussi attirer l’attention des pouvoirs publics sur un procès qui dure depuis 35 ans. Le concessionnaire puis l’association syndicale avaient escompté sur les ressources que le Canal pouvait tirer de la force motrice produite par les chutes d’eau que l’on peut utiliser sur son parcours. En 1907, celles-ci avaient fait l’objet d’un contrat avec une société qui s’engageait à entretenir la branche mère et les deux branches secondaires jusqu’aux chutes à équiper. Le droit acquis par cette société fut repassé à l'U.N.I.E. qui n’a exécuté aucun travail et ne paie aucune redevance. Un procès est engagé depuis 1911 mais voici que, maintenant, « l’Electricité de France » a la haute main sur l’utilisation des chutes. Nous demandons instamment à ce que la question qui nous préoccupe soit mise au point le plus rapidement
possible."
Le Comité Syndical de l’Association Syndicale du Canal de GAP.
GAP, le 25 novembre 1946.